Mercredi 20 juillet, minuit 15.
Je suis indestructible. Je vais bien. Très bien.
Sensation de puissance en récupérant mon corps, les fourmis, les sensations qui reviennent. Je suis maître de mon corps. Je peux encaisser. Beaucoup. Respirer, Calmer, Accepter la douleur, se poser en elle, accepter les soutiens proposées, aussi inconfortables soient-ils. Ils me soutiennent. Je peux même choisir sur lequel m’appuyer. Et en changer. Troquer un inconfort contre un autre. Je fais bien plus que survivre à mes épreuves. Je les vis. Intensément.
Ne plus attendre. « Attendre, c’est pêcher à la fois contre le temps qui reste à venir, et contre les instants présents qu’on néglige »
Ne plus négliger les instants présent. Mais les vivre. Au maximum. Demander à mon riggeur des modifications à la marges. Ne pas s’offusquer des maladresses. Lui donner le temps, même si la situation est limite. Découvrir que l’on peut, même là, dépasser ses limites. Anticiper la transition. la préparer. l’accueillir quand elle vient, douleur transitoire qui annonce un nouvel équilibre.
Mercredi 21 septembre, même heure.
C’était hier soir, et j’étais brisée.
Il m’a proposé de remonter sur le cheval. Tout de suite.
L’enjeu était énorme. On jouait mon retour dans les cordes. On jouait mon envie de revenir toucher ma vulnérabilité, à l’opposée extrême du sentiment de puissance d’il y a deux mois.
Torture. Intentionnelle.
Aucune position n’est définitivement insupportable. J’ai déjà pris plus, je le sais. Mais quand même. La rationalité qui perd son sens petit à petit. Les larmes. Car aucune transition n’apporte aucun soutien. L’inconfort se déplace, indubitablement. Il devrait donc soulager cette partie qui a précédemment été stressée, non ? Non : si elle n’est plus en tête de mire, cette partie reste stressée, elle reste dans l’orange. Comme toutes les lignes. Tous les capteurs dans l’orange. Aucun dans le rouge. A peine un vermillon pour la cambrure de mon dos.
Il n’est plus question de calmer, respirer. Y’a plus moyen de choisir quoique ce soit. On constate l’incapacité à reporter un inconfort sur un autre : car toutes les tentatives de ce type s’avèrent néfaste : pour soulager le point A, on tente de porter sur B ? Le résultat : B fait mal (comme prévu) et A ne semble pas avoir changé.
Non, la seule issue tracée est celle de la déconnexion. Accepter la perte de contrôle total.
Lâcher définitivement prise.
Le mental résiste, mais ne peut que constater son impuissance à infléchir la situation. L’exercice est celui-là. Il a été conçu pour ça, pour mettre dans cet état là, et briser ce mental qui se croyait si puissant. L’espoir disparaît peu à peu à mesure que les lignes changent et que la situation reste si insupportablement acceptable. Constater qu’il est même trop tard pour demander quoique ce soit : le processus de descente est enclenché mais à part se faire soulever par un tiers, rien ne pourra améliorer les choses durant les manipulations qui restent avant de retrouver le sol.
Le mental est brisé par cette contradiction : prises une à une, aucun des indicateurs ne justifierait de déclencher l’alarme rouge. Quoi ? Risquer l’intervention d’un tiers, son irruption dans notre bulle, la contamination par sa propre panique ? Hors de question : le lien de confiance reste et ne se brise pas. Et pourtant j’en suis aux larmes.
Stade ultime de l’adaptation : ne rien faire et passer sous la vague.
Pourquoi vouloir retourner là dedans ?
Qu’est-ce que je cherche ? Quel dépassement ? comment encore apprécier l’eau chaude quand on s’y est brûlée ?
Pire : comment continuer sereinement à fantasmer sur une eau plus chaude encore ? Comment maintenir le fantasme, celui qui rend l’inconnu si désirable, quand la réalisation a révélé des aspects beaucoup trop concrètement horribles.
Y retourner par réflexe, par conviction, pour honorer le souvenir de cette époque, hier à peine, où j’aimais ça, où les cordes étaient ce que j’avais le plus envie de faire et refaire. A en craindre l’addiction.
Et après ?
Valoriser l’expérience, en elle même. Comme il y a deux mois : j’ai traversé l’épreuve. Je n’en suis pas morte, pas même estropiée.
Réévaluer le territoire, après la découverte de cette limite, et s’offrir à très long terme la possibilité d’explorer dans ces limites là. Terrain de jeu immense s’il en est.
Valoriser l’après, le retour au sol, le retour à un usage connu des cordes. Refuser de ternir le plaisir manifeste que j’y ai pris. Refuser ce jugement qui tombe comme un couperet : le jeu n’en valait pas la chandelle.
Prendre 5 minutes sur ces larmes, une fois de plus.
il y avait l’inconfort, bien sûr. mais quoi ? rage, impuissance. privée de choix.
C’est pourtant un état dans lequel je vais habituellement bien : plaisir de s’abandonner aux cordes, le tout détendre, et devenir matériau.
Sauf que d’habitude, je le fais en conscience, et c’est réversible.
Ce type d’inconfort là est réputé transitoire. J’ai pris l’habitude de serrer les dents, de faire la fière, et d’être toute heureuse quand on est de l’autre coté.
Il n’y avait dans le riccardo aucune place pour aucune fierté. J’étais contrainte à devenir ce matériau humain, masse de chairs contraintes et torturées. Fini la soumission volontaire jouée, la révolte simulée.
Souvenirs.
On continue de descendre, un nouveau voyant orange s’allume. Un de plus. Décréter qu’il est de trop. « Aïe. »
Réponse fulgurante « Ou est-ce que tu as mal ? »
Alors secouer ce mental qui devrait au moins pouvoir servir à ça. Identifier le trop (un nœud qui écrase nerfs et tendon à l’intérieur d’un poignet. Rassembler les mots. Ordonner leur énoncé. Ne pas s’offusquer de la maladresse (à comprendre comme à agir), le temps n’a plus d’importance. La ligne revient dans le jaune mais reste présente. Il n’y a rien à faire.
Il me soulève quelques secondes. Mais il doit me reposer dans les cordes pour finir cette interminable descente.
Il n’y a rien à faire.
Les quatre boutons et demi des humains.
La peur (A), et l’espoir (E).
Hier j’ai survécu à la perte de l’espoir.